Economie 0 (2007)
Économie 0 n’est pas un slogan, un logo, une recette encore moins un manifeste. Économie 0 n’est pas la négation de l’économie.
Jusqu’à présent l’économie a été conçue en termes de + et de -, de profits et de pertes, de bilans, construisant une temporalité: une attente, espoir et menace tout à la fois selon l’action projetée. On aura beau expliquer que l’économie se limite à une approche objective et chiffrée, il semble bien difficile de la distinguer d’une machinerie des affects.
Économie 0 est un concept permettant de décrire certains phénomènes contemporains où les dépenses et les gains sont équilibrés et pour ainsi dire s’annulent. La production artistique en est le champ d’application privilégié mais non-exclusif.
Économie 0 ne s’oppose donc pas au libéralisme économique, à la mondialisation. Nous savons combien la critique est intégrée d’avance par le système dénoncé qui se nourrit de telles dialectiques. Nous savons combien critique et critiqué se valident l’un l’autre par un jeu croisé. Nous savons combien toutes contre-propositions au pouvoir dominant est un reflet de son emprise, une justification de sa position, nous qui sommes dans des démocraties représentatives (mimesis).
Mais que faut-il alors entendre par « neutralisation »? Qu’est-ce que le neutre appliqué à l’espace écomomique? Il s’agit simplement d’une manière de s’organiser afin que nous ne soyons ni à l’intérieur ni à l’extérieur du système des échanges. Cette logique du « ni ni » n’est pas une manière de suspendre l’économie, encore moins de la dénoncer, il ne s’agit pas d’une attitude passive mais la mise en place de stratégies du neutre.
Les pertes et les profits mesurent et construisent des affects, crainte et satisfaction, attente ou précipitation, défense ou prédation. Ces affects diminuent la puissance des flux et des devenirs en retenant, en délivrant et en identifiants (« c’est mon flux » ou « c’est ton flux »).
Avec l’économie 0 il s’agit de laisser les flux couler. Extraction, coupure, décodage et encodage des flux sont des fonctions de production non de bilan. Le bilan arrête l’écoulement conçu comme une hémorragie à soigner.
Le crédit organise les pertes (humaines) au profit de bénéfices (banquaires). Le crédit soumet les existences au régime abstrait de l’idée de valeur. L’économie 0 n’est pas une économie a minima, une économie de simple subsistance. Les flux dépensés peuvent être importants, peu importe puisqu’il n’y aura ni perte ni gain, ni déception ni satisfaction, nulle espérance en un avenir meilleur ou pire, nul messianisme donc, simplement le présent de ce qui est
effectivement produit.
De ce fait la question de la valeur (donc de la perte) ne se pose plus simplement. La valeur économique était fonction d’un rapport de pouvoir: gagnant ou perdant, créditeur ou débiteur. La perte est encore une possibilité négative de gain et le gain une possibilité de perte (ce que j’ai gagne je peux le perdre). L’économie 0 brouille cette réversibilité et la notion même de valeur et d’échange. Elle replace l’économie sur le plan d’un symbole secondaire dérivé d’une intention typologique de pouvoir. Le concept de part maudite (G. Bataille) n’est plus suffisant pour comprendre le devenir du libéralisme. Il y a en elle quelque chose de lointain et d’exotique, une forme de romantisme à tonalité christique: don absolu de quelque chose en dehors de la valeur. La dissipation d’une énergie sur le socius proposée par la part maudite est quelque chose d’apprécié par le libéralisme économique car elle se rattache aux loisirs qui détendent les corps, les suspendent, les palpitent. La part maudite est une partie à part de l’économie. L’économie 0 n’est pas au dehors, elle ne suspend rien.
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Economy 0 is not a slogan, a logo, a recipe and even less a manifesto. Economy 0 is not the negation of the economy.
Until now, the economy has been conceived in terms of + and -, profits and losses, balance sheets, building a temporality: an expectation, a hope and a threat at the same time, depending on the projected action. No matter how well one explains that the economy is limited to an objective and quantified approach, it seems very difficult to distinguish it from a machinery of affects.
Economy 0 is a concept allowing to describe certain contemporary phenomena where the expenses and the gains are balanced and so to speak cancel each other out. The artistic production is the privileged but non-exclusive field of application.
Economy 0 is therefore not opposed to economic liberalism, to globalization. We know how much the criticism is integrated in advance by the denounced system that feeds on such dialectics. We know how much critic and criticized validate each other by a crossed game. We know how much all counter-proposals to the dominant power is a reflection of its hold, a justification of its position, we who are in representative democracies (mimesis).
But what is to be understood by « neutralization »? What is the neutral applied to the ecomic space? It is simply a way of organizing ourselves so that we are neither inside nor outside the system of exchanges. This logic of « neither nor » is not a way of suspending the economy, even less of denouncing it, it is not a passive attitude but the implementation of strategies of the neutral.
Losses and profits measure and construct affects, fear and satisfaction, expectation or haste, defense or predation. These affects diminish the power of the flows and of the becomings by retaining, by delivering and by identifying (« it is my flow » or « it is your flow »).
With the economy 0 it is a question of letting the flows flow. Extracting, cutting, decoding and encoding flows are functions of production, not of balance. The balance sheet stops the flow, conceived as a hemorrhage to be treated.
Credit organizes (human) losses for the benefit of (bank) profits. Credit subjects existences to the abstract regime of the idea of value. Economy 0 is not an economy a minima, an economy of simple subsistence. The flows spent can be important, it doesn’t matter because there will be no loss or gain, no disappointment or satisfaction, no hope in a better or worse future, no messianism therefore, simply the present of what is
effectively produced.
As a result, the question of value (and therefore of loss) is no longer simply posed. Economic value was a function of a power relationship: winner or loser, creditor or debtor. Loss is still a negative possibility of gain and gain a possibility of loss (what I have gained I can lose). The zero economy blurs this reversibility and the very notion of value and exchange. It places the economy on the level of a secondary symbol derived from a typological intention of power. The concept of the cursed part (G. Bataille) is no longer sufficient to understand the future of liberalism. There is in it something distant and exotic, a form of romanticism with a Christian tone: absolute gift of something outside of value. The dissipation of energy on the socius proposed by the cursed part is something appreciated by the economic liberalism because it is related to the leisure that relaxes the bodies, suspends them, palpitates them. The cursed part is a separate part of the economy. The economy 0 is not outside, it does not suspend anything.