Détail (2006)
Le détail : entre l’objet et le sujet, entre ce qui est perçu et ce qui est à percevoir. C’est un jeu de regard et d’attention qui s’ouvre, un changement d’échelle qui doit avoir un repère pour passer de l’ensemble au détail ou l’inverse. On zoome. Un détail peut-il exister tout seul ? Est-il alors encore un détail ? Et doit-on s’arrêter lorsqu’on est arrivé au détail, ou le détail peut-il se fractaliser en d’autres détails, indéfiniment ? Peut-on même parler du détail au singulier, ou bien comme d’un genre ? Ne devrait-on pas parler « des détails »?
On va de la figure humaine au corps, à la main, la peau, la matière de la peau, aux pigments, voire à un en deça de la matière ? Un détail est une promenade de la perception. Que voit-elle, la perception, dans un détail? Se réfléchit-elle? Et un détail est-il jamais seul ? Lorsqu’on en est arrivé au détail, par ce chemin tortueux de la perception, n’est-on pas de fait dans une multiplicité infinie? Cette dernière n’est-elle pas une manière d’amener le regard vers…, de le faire cheminer de proche en proche ? Si la perception se déplace, c’est qu’elle a affaire à de l’hétérogène. Comment décider alors ce qui relève du visible, de ce que nous voyons, de ce qui nous regarde?
Les supports contemporains de la mémoire, en proposant de nouvelles méthodes de navigation, de cheminement et de promenade, radicalisent la question du détail et de cet autre auquel il fait nécessairement référence. Un détail n’est jamais seul et quand il l’est, il témoigne alors de son isolement puisque quelque chose lui manque. Qu’est-ce qu’un détail sur Internet ? Comment hiérarchiser ce qui relèverait du détail ou du tout ? En partant d’un moteur de recherche pour trouver une information, une autre, puis une autre ? Et si le dernier détail (celui derrière lequel il n’y a plus rien) n’existe pas sur Internet, comment parler même de détail ?
Et pourtant, nous avons le sentiment de n’avoir plus affaire qu’à des détails fragmentaires. L’ensemble fait défaut, comme la raison. Nous passons d’un détail à un autre, d’une perception à une autre. Nous pouvons nous y arrêter. C’est une pause. Il n’y a, il n’y aura plus de raison dernière. Le monde est disloqué.
Le détail est tout aussi bien une question qui concerne l’esthétique que la pensée. Le mot même présuppose tout un régime hiérarchique: un détail c’est ce qui est particulier, un ornement, une affaire sans importance et futile, quelque chose qui peut même toucher au néant. Mais c’est aussi le précis, la sophistication, pour ne pas dire la subtilité. C’est encore la partie de quelque chose, un morceau, un déchet. Le détail n’est pas le concept.
Walter Benjamin élaborait « une pensée du détail »: souvenons-nous de ce jardin, de cette herbe, de ces brindilles d’herbe, chaque brin est singulier et a autant de rapport avec un autre brin qu’avec n’importe quoi d’autre. C’est par une facilité de la pensée, qui est son irrémédiable vulgarité, que nous y voyons un genre, « l’herbe », pour oublier la singularité de chaque détail.
Comment les dispositifs contemporains peuvent-ils, par les cheminements interactifs, par la stratification des données, par la faculté de déplacement incessant, rendre compte de cette autre de la pensée qu’est l’esthétique des détails ? Pouvons-nous élaborer une perception de détails qui ne fassent pas référence, sous le signe du manque, à une totalité première? Un détail, mais sans nostalgie.
Between the subject and the object, between the perceiver and the perceived. As we shift from the detail to the entirety, the change in scale is ascertained through comparison. Can a detail exist all by itself? Would it still be a detail? Do we have to stop once we arrive at the detail? Can’t we just keep going until the detail breaks up into endless fragments of further details?
We go from a human being to the body to the hand to the skin, the material of the skin, to pigments, eventually are we even looking at matter at all? The detail is a voyage of perception. What does perception see in a detail? Does it reflect? Is one detail ever alone? Once we reach the detail through this tortuous path of perception, don’t we actually find ourselves in an infinite multiplicity? If our perception is shifting, doesn’t this imply heterogeneity? How do we decide what is revealed by the visible, and what we see, and how relevant it is to us?
Today’s technologies of memory also propose new ways of navigating, travelling through memory, radicalizing the question of the detail and of the other to which it necessarily refers. A detail is never alone, and when it is, it is testament to its isolation, because it is missing something. What is a detail on the Internet? How do we define a hierarchy by which we can go from the detail to the whole or vice versa? If it is hopeless to attempt to find anything which could be called ‘the final detail’ which would complete our whole, how can we even begin to speak of details?
Yet, we get the sense of never seeing anything more than fragmentary details. The whole is a default, as is reason. As we go from one detail, one perception to the next, we can stop, we may pause, but there is never a good reason to. The world is disconnected.
The detail concerns aesthetics as much as it does thinking. The word itself implies a hierarchy: a detail is something particular, an ornament, nothing of importance, something which may even be on the edge of nothingness. But it is also precision, sophistication, if not subtlety. It is still part of something, a piece, a remnant. The detail is not a concept.
Walter Benjamin described « a thought of detail »: Let’s remember this garden, this grass, these blades of grass, each blade is unique and has as much to do with the next blade as with anything else. It is through the irremediable vulgarity of thinking that we perceive anything that could be described as ‘grass’ forgetting the singularity of each detail.
How do interactive cross-referencing, database stratification, and the capacity for unceasing movement of today’s technology account for this implied ‘other’ which is the aesthetic of details? Is it possible to elaborate a perception of details which does not refer back, through the sign of missing something, to an initial totality? A detail, but without nostalgia.