Archive mensuelles: octobre 2012

Auto-archivage immédiat


Genèse de la ligne de recherche

La fin de l’année 2004 a vu pour moi la création d’un blog. Depuis 1996, je possédais plusieurs sites internet : une plateforme collaborative avec le collectif incident.net, des sites qui étaient des pièces artistiques en tant que telles, et un site internet personnel, galerie « obligatoire » de projets archivés.
La fonction de ce dernier site n’était pas satisfaisant : j’écrivais sur des pièces et projets déjà réalisés alors que j’aurais préféré parler de recherches en cours. Petit à petit, la partie carnet de notes que je développais en parallèle a prise de l’ampleur mais la lourdeur de la réactualisation régulière de pages en Html rendait les choses difficiles.
Je me suis penchée sur les éditeurs en ligne mais j’avais un apriori sur les blogs en ce qu’ils délocalisaient le contenu depuis mon ordinateur vers un serveur que je ne pouvais pas maîtriser complètement[1], rendant les données encore plus immatérielles puisque contenues dans une base de données et non dans un fichier « en dur ».
Un autre à priori était d’ordre méthodologique : le blog mettait à disposition immédiatement la chose écrite, sans filtre. Paradoxalement, partager une pensée en train de se construire me paraissait une bonne chose, de même que pouvoir la commenter, la remettre en jeux et la confronter (individuellement mais aussi collectivement) à d’autres manières de faire.
C’est à ce moment que j’ai pris connaissance du texte de Michel Foucault « L’écriture de soi », qui traite notamment des hupomnêmata[2] et la manière dont la culture gréco-romaine les utilisait.

Le texte de Foucault a considérablement raisonné, notamment dans l’analogie que l’on pouvait naturellement construire entre hupomnêmata et ce que potentiellement un blog (ou tout autre support artificiel de mémoire électronique partageable) offre de plus riche : une mémoire matérielle ouverte à utiliser comme une boite à outils pour la réflexion, la méditation et l’échange avec soi-même et avec l’autre.
Cette analogie m’a donné une méthode ; elle m’a poussée à envisager le blog comme un outil. Un outil pour pratiquer une pensée critique attachée à un projet artistique en train de se faire, pour développer un mode d’écriture non figé qui ne fait pas l’économie de la fragilité d’une réflexion en cours, et assumer les retours que ce mode d’écriture suscite une fois livrée.

Chaque type d’outils engendrent des objets spécifiques, et après quelques mois de pratique du blog j’ai observé l’objet que j’avais produit et sa nature.
Après réflexion, le dispositif stockait et classait (de manière chronologique, par catégories, par mots clés, etc.) automatiquement mes idées, mes productions, ainsi que toutes sortes de médias et données qui m’importaient : j’archivais mon travail d’une façon systématique et immédiate. De fait, cet auto-archivage pouvait bien produire une esthétique en temps que telle.
J’ai décidé d’appeler cette pratique l’auto-archivage immédiat.
Le terme auto renvoyait à l’automatisation du traitement des médias et données, son stockage et son archivage par l’éditeur en ligne, et à autonome : dans ce qu’elles pouvaient être reprises (flux RSS par exemple) et/ou réutilisées (mashups[3]). Ce terme « auto » n’était donc pas à prendre en premier lieu comme relatif à une pratique personnelle (comme dans « auto-portrait » par exemple), il n’était pas question ici de faire un « récit de soi-même »[4].
Ainsi jour après jour, je produisais un nouveau type d’archive : une archive immédiatement consultable, échangeable et contribuable (dans le cas d’éditeurs de textes à plusieurs contributeurs, ou dans la possibilité d’ajouter des commentaires), une archive performative, une action.



[1] À l’heure où j’écris ce texte, mon site internet a été « hacké » et toutes mes données sont inaccessibles, voire pour certaines perdues. La question de la perte, et donc de la conservation des données reste centrale dans l’archivage en ligne. Mais on peut aussi se poser la question autrement : de tels contenus sont-ils destinés à être conservés ?

[2] Supports artificiels de mémoire. (voir M. Foucault – « L’écriture de soi », texte reproduit dans « Théorie »)

[3] En Français application composite. C’est à dire une application qui combine des contenus provenant de plusieurs sources déjà existantes. Par exemple dans le cas du site internet, le fait d’agréger des contenus provenant d’autres sites afin d’en créer un nouveau.

[4] « Aussi personnels qu’ils soient, ces hupomnêmata ne doivent pas cependant être pris comme des journaux intimes (…). Il ne constitue pas un « récit de soi-même » ; ils n’ont pas pour objectif de faire venir à la lumière du jour les arcana conscientiæ dont l’aveu – oral ou écrit – a valeur purificatrice. Le mouvement qu’ils cherchent à effectuer est inverse de celui-là : il s’agit non poursuivre l’indicible, non de révéler le caché, non de dire le non-dit, mais de capter au contraire de déjà-dit, rassembler ce qu’on a pu entendre ou lire, et cela pour une fin qui n’est rien de moins que la constitution de soi. » (M. Foucault – « L’écriture de soi », dans Dits et écrits, p.1238).

 

Appel à projet pour la ligne de recherche de l’EESAB,

Appel à projet EESAB Géographies variables

Voila trois ans que je développe des projets de recherches au sein de l’EESAB où j’enseigne. Malgré le fait que le mot recherche est soudainement été appliqué, sans filtre, sans définition et de manière brutale au monde des écoles d’art, je me suis engagée dans cette direction, y voyant une opportunité de dialogues entre les écoles et le monde de l’art et sa réalité, quelque chose à détourner de façon positive. En cela le premier projet de recherche « de l’auto-archivage comme œuvre » a été un vrais succès : une collaboration avec pleins d’artistes, critiques et d’étudiants. Le deuxième ligne de recherche commencera début 2103. Elle découle d’une certaine manière de pratiquer, que j’ai expérimentée ces dernières années : la résidence. Et notamment des résidences dans des milieux non artistiques, parfois même dans des milieux extrêmes, voir hostiles. Et cela sur des périodes parfois assez importantes (entre 1 mois et 1 an).
La résidence s’est imposée à moi comme un moyen cohérent de produire de l’art, parfois matérialisé par des œuvres, parfois non. La résidence m’est apparu comme un possible quand j’ai compris que la pratique d’atelier ne me poussait pas forcément vers une recherche de fond (qui ne demande pas de lieu, mais bien une quotidienneté de celle-ci), voir qu’elle figeait ma pratique, jusqu’à la rendre confortable – dans le mauvais sens du terme..
J’ai donc abandonné mon atelier et travaille contextuellement depuis 5 ans. J’ai aussi créé le programme de résidences Géographies variables dans le même but : donner la possibilité à d’autres de confronter leur pratique artistique à la réalité d’un lieu, d’un contexte, d’une population ou d’un autre artiste, in situ.
Aujourd’hui donc je commence, à l’EESAB, une nouvelle version de Géographies variables (sans abandonner la précédente, qui continue entre le Québec et la France) qui prendra des aspects pédagogiques, de commissariat et bien sur de production d’œuvres. La question principale de cette recherche sera : qu’est-ce qu’une résidence? Voici de possibles éléments de réponse, que j’introduis dans l’appel à projet :

Pratiquer le dispositif d’une résidence c’est expérimenter une hétérochronie, c’est à dire faire l’expérience d’un temps en rupture par rapport au temps traditionnel. L’hétérochronie est une expression limitrophe au concept foucaldien d’hétérotopies : un seul lieu réel qui a le pouvoir de juxtaposer plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles [1].

La résidence est une hétérotopie. Elle est aussi l’occasion d’une double mutation : celle des personnes qui la pratiquent, et celle du territoire/milieux qui l’accueille. Pour l’artiste, elle modifie une façon de voir les choses en l’obligeant à réagir et à s’interroger de façon inhabituelle, contextuellement. Pour le milieu dans lequel elle s’insert, elle opère un processus de redéfinition par divers procédés : description, détournement, déconstruction, prolongement, reconstitution…

La ligne de recherche Géographies variables va questionner cela en s’articulant autour de la forte connexion d’expériences vécues par les artistes invités et la direction scientifique. Ces artistes ont en effet à leur actif des résidences de recherche et création hors-normes : inSitu, dans des environnements extrêmes, variables, souvent non spécifiques à l’art. On peut citer : la mission Tara ou des missions sur les îles Tristan da Cunha ou Clipperton, des résidences sur les îles Kerguelen, ou encore des projets développés sous terre… Ainsi tous ont produit des dispositifs et/ou stratégies artistiques interrogeant à la fois la pratique de l’art en résidence et son encrage dans un lieu et un contexte précis.
Ils partiront de ces expériences antécédentes pour interroger la résidence sous l’angle d’une hétérotopie. La recherche portera donc autant sur l’exploration d’une résidence artistique, sur son statut, que sur son territoire de déploiement (physique, humain, sociologique).
Cette connaissance pragmatique par les artistes sera complétée par d’importantes interventions de critiques ou curateurs spécialisés dans ses questions de création dans des environnements hors-normes. Ces intervenants viendront interroger et théoriser les productions artistiques en cours.
Cette recherche convoquera naturellement différents médiums et champs artistiques : espace de l’installation, performance, écritures (critique, littérature), vidéo, nouvelles technologies et espace virtuel.
Ouverte, elle tendra se placer à la croisée d’autres champs disciplinaires : architecture, histoire, sociologie, géographies, philosophies.

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Ci dessous, l’appel à projet pour sélectionner 3 jeunes artistes pour le programme de recherche, qui sera diffusé dans quelques jours..

 

Appel à projet EESAB Géographies variables

Appel à projet EESAB Géographies variables

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[1] « Mais ce qui m’intéresse, ce sont, parmi tous ces emplacements, certains d’entre eux qui ont la curieuse propriété d’être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu’ils suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis. Ces espaces, en quelque sorte, qui sont en liaison avec tous les autres, qui contredisent pourtant tous les autres emplacements, sont de deux grands types.
Il y a d’abord les utopies. (…) C’est la société elle-même perfectionnée ou c’est l’envers de a société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels.
Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables.» Michel Foucault « Des espaces autres », dans Architecture, Mouvement, Continuité (1984).

Show off Paris

Le E dans l'autre - Julie Morel

Le E dans l'autre - Julie Morel

J’expose lors du Show off Paris du 17 au 21 octobre, plusieurs pièces dont « Le E dans l’autre »: un programme informatique qui encode le livre Œdipe de Sénèque, et interroge notre relation aux chiffrages et déchiffrages de codes et de partitions.
Il y aura pleins de beaux projets et d’artistes intéressants : Société réaliste, Antoine Schmitt, David Guez, Christophe Bruno, Albertine Meunier, Eduardo Kac… et pleins d’autres encore!

– Après-midi professionnel sur invitation : le 16 octobre 12h-18h
– Vernissage sur invitation : le 16 octobre 18h-22h
Sinon, les visites se font du 17 au 21 octobre 2012 de 12h à 20h.

Espace Filles du calvaire
7, rue des Filles du Calvaire
75 003 Paris