Archivés-Chavirés, Exposition aux Archives Départementales de la Dordogne, du 28 sept. au 28 oct.
Partition
Après deux semaines en résidence aux Archives Départementales, voici qu’une ébauche de projet émerge…
Lors d’une réunion, j’ai pu mieux comprendre le fonctionnement des Archives. La répartition des fonds publics, administratifs est majoritaire (les lecteurs viennent surtout consulter les cadastres, ou pour faire des recherches généalogiques) et le reste est constitué de fonds privés, très variés, autant dans leur forme que dans leur contenu, allant des documents historiques sur la guerre de cent ans aux brevets d’inventions (accompagnés de leur prototype) datant d’après-guerre… J’ai été initiée à une recherche de documents, on m’a montré des documents « chavirés » (tombés, en équilibre, endommagés, etc.) et j’ai pu suivre le procédé d’une recherche, bien différente dans la navigation et l’organisation de celles que l’on peut faire en bibliothèque.
Lorsqu’un fond est versé aux Archives, on l’indexe tel quel, il n’y a pas de reclassement alphabétique, ou thématique, pour garder le contexte de départ. On retrouvera par exemple, pour une bibliothèque léguée aux Archives, le classement mis en place par le propriétaire de celle-ci, etc.
Un des fonds privés m’a particulièrement intéressé : il s’agit d’une partithèque regroupant des publications de partitions datant de la fin du XIXème – début XXème. Il s’avère en effet que la Dordogne comptait un très grand nombre de maisons d’édition musicale, et que les originaux sont consultables ici.
Le projet qui commence à prendre forme sera celui de réactiver, en collaboration avec un(e) musicienne, certains morceaux contenus dans ces éditions. Par « réactiver », je n’entends pas simplement rejouer les morceaux choisis à l’identique, mais offrir une interprétation contemporaine de ceux-ci. Comme il s’agit pour la majorité de morceaux de musique populaire, pour la plupart des chansons d’amour, je me dirige vers le pendant contemporain du genre : de la musique pop-électro.
J’aimerai que le mode de consultation de ces « nouveaux » morceaux soient interactifs et inSitu. Qu’ils arrivent à un moment où on ne les a pas forcément choisis. Qu’ils soient un peu comme des bruits, des sons lointains qui hanteraient le bâtiment.
Pour le moment, l’endroit qui me plaît le plus est un espace transitoire entre l’extérieur et l’intérieur : le vestiaire, où l’on se départit de ses sacs et affaires (il est interdit d’entrer dans la salle de lecture avec un sac ou  une veste…). Ce vestiaire possède des casiers à disposition pour les lecteurs, et ils ont à peu près la taille d’enceinte stéréo… Peut-être leur ouverture pourrait déclencher un passage ou une chanson entière…
Pour l’instant, j’ai intitulé le projet « Partition »… J’hésite aussi avec « Départition ».
Comme j’aime beaucoup les mots à double sens, celui-ci me convient très bien. La partition, c’est le document où sont notées les compositions musicales qui permet la lecture de l’ensemble des instruments constituants une pièce. C’est aussi la division d’un ensemble, une séparation.
Archives chavirées
Hier, Sylvie, qui travaille aux archives contemporaines (1945 à nos jours) m’a montré toute une série d’archives chavirées : il s’agit de documents qui arrivent abimés car ils ont été mal stockés, mal entretenus, endommagés par l’humidité, les insectes (notamment le poisson d’argent – joli nom mais beaucoup de dégât), etc.
Interview
Un entretien réalisé pour l’Agence Culturelle départementale pour le dossier de presse de la résidence et de l’exposition « Archivés/Chavirés » qui aura lieu à partir du 28 septembre aux Archives départementales de la Dordogne.
• Pouvez-vous situer votre démarche dans le monde artistique d’aujourd’hui ?
Rejoignez-vous certains courants artistiques ? Si oui, lesquels ?
C’est assez difficile de se situer : les influences sont multiples. Je me sens à la fois proche d’artistes modernes (Laurence Weiner, On Kawara, Chris Burden, Morellet…) mais aussi de très contemporains, (Cerith Wyn Evans, Etienne Cliquet, Jocelyn Cottencin, les gens d’incident.net, ou encore Antoine Schmitt, Carsten Nicolai…).
Et puis je suis toute aussi influencée par la littérature, de Lewis Carroll à Jacques Roubaud que par le cinéma, la musique pop ou la linguistique.
Je n’ai pas la volonté de rejoindre un courant artistique. Le courant, quand on n’y prend pas garde, ça ne vous emmène pas forcément là où vous voulez, non ?
Mais je reste ouverte à tous les courants et médium, et il se crée naturellement des affinités esthétiques & connexions affectives et d’idées au gré des rencontres.
• Comment définiriez-vous votre travail ?
C’est une dérive constante liée au mot et à la textualité. Pour moi les mots, avant même de produire des images mentales, sont des images en tant que telles (des images, pas des signes).
Le langage, cette chose que j’utilise à chaque minute, reste pour moi un mystère, que je ne suis d’ailleurs pas du tout résolue à percer. Être émerveillée est un état qui me convient et permet de produire beaucoup de choses.
Mon travail observe, par ce biais, mais pas uniquement, le rapport qu’entretien quotidiennement l’homme aux technologies et se construit sur des dispositifs de visible/invisible, lisible/illisible.
Souvent il en résulte un principe de lâcher prise : comme un hors champ, l’acceptation d’une zone d’ombre, d’un territoire caché ou inatteignable physiquement. La fonction & l’issue de ce principe est d’agir comme renoncement et de permettre l’investissement de la part du spectateur dans la construction du récit en cours.
• Comment vous est venue l’envie de travailler sur les technologies numériques ?
Les technologies se sont développées au même moment que ma pratique d’artiste et ma vie quotidienne a été changée par l’apparition de celles-ci. Pendant longtemps, je me suis servie de la technologie comme outil, ce qui rétrospectivement m’apparaît comme un état nécessaire, mais assez léger. Puis un jour un incident assez anecdotique m’a fait prendre conscience que je devais les interroger en tant que système : j’ai cassé un verre en faisant la vaisselle et spontanément j’ai pensé : « Ctrl+Z », le raccourci clavier qui permet de revenir en arrière… Cela a révélé à quel point l’ordinateur m’affectait, jusque dans ma mémoire réflexive. J’ai donc produit une vidéo, « Soumission », et depuis mon travail sonde principalement les notions de traduction, de décalage, d’interstices dans notre lien aux nouvelles technologies.
J’essaye sans cesse d’inventer de nouveaux modes de relations aux autres par le biais des technologies, que ce soit par l’utilisation, la création, le déplacement et la mise en place d’interfaces graphiques, physiques. Ce qui m’intéresse dans la technologie, c’est l’humain.
• Pourquoi portez-vous tant d’intérêt pour la relation quotidienne entre l’homme et la technologie ?
J’y vois deux raisons principales.
Travailler avec la technologie, c’est travailler avec un système de langage (la machine informatique reste cela) qui est intimement lié à l’écrit.
Cette relation homme/techno est constante, profonde et il serait naïf de ne pas constater que depuis la révolution industrielle, d’abord la technique, puis la technologie prolifère à chaque minute et à chaque endroit de notre vie et la modifie, ainsi que la représentation que l’on en a.
Puis il y a aussi l’échec, qui est une constituante & un point commun essentiel entre mon travail (je considère que chaque production n’est qu’une suite d’échecs) et les technologies.
Une machine est souvent un objet dysfonctionnel qui « bug », plante, ou ne marche pas comme on voudrait. Dans ces moments-là , on peut en saisir toute sa dimension poétique, humaine.
• Vous avez déjà effectué plusieurs résidences. Que représente la résidence dans votre travail ?
Une résidence va varier d’un contexte à l’autre. Chaque fois, c’est une rencontre différente, un moment où l’énergie peut être concentrée sur une seule chose. Ce qui est commun à toutes, c’est la possibilité précieuse d’avoir ce temps de travail et de recherche.
• Quel lien tentez-vous d’établir entre le texte et l’image ?
Quand on travaille sur internet, on s’aperçoit vite que le code informatique, le texte donc, est une partie constituante de la structure de l’image. À l’inverse, je vois l’image comme étant une partie constituante de la structure du texte. Une représentation immédiate captée par l’œil avant même que le cerveau n’applique un sens (et une image) au mot lui-même. Il est intéressant d’envisager ce moment comme dénué de toutes interprétations, de tout à priori, comme un moment ouvert à l’attention (C’est par exemple flagrant quand le texte est mis en mouvement, que ce soit par le biais de la vidéo, de l’animation, etc.).
Et puis, dans un deuxième temps, le langage est un moyen beaucoup plus direct de passer un message. D’après Weiner, le langage en art se rapporte au matériau, il est entièrement matériel, mais n’en possède pas la lourdeur. Sous sa forme textuelle, je trouve le langage aussi moins encombrant, plus proche de l’idée, avec cette ambiguïté d’être à la fois image et texte.
• On remarque votre implication au sein du collectif incident.net depuis 1998. Cette collaboration a-t-elle une « incidence » sur vos recherches personnelles ?
Oui, beaucoup. Un des points importants et spécifiques de l’art numérique – notamment du travail sur internet – est l’intelligence collective (qui me semblait alors absent du milieu de l’art contemporain). Cette découverte, je l’ai faite avec les membres du collectif incident.net.
• Vous avez réalisé une installation intitulée « Sweet Dream » en 2008/2009 qui a généré une production de dessins. Quelle relation établissez-vous entre les technologies numériques et le dessin ?
Aucune à priori. Mais ils cohabitent très bien : )
La spécificité de « Sweet Dream » est de se développer en deux endroits géographiques distincts – une galerie, un centre d’art ou autre lieu public et ma chambre chez moi – et sur un principe déceptif, puisque l’un de ces lieux n’est pas accessible et que l’on a aucune image ni retour de celui-ci. Ce qui me semble important c’est que ces dessins, en se rapprochant des codes des kakémonos traditionnels, ont ce même rôle d’être des objets projetant le spectateur dans un espace inatteignable mais qui porte à la réflexion.
• Vous débutez votre séjour aux Archives départementales de la Dordogne. Comment ressentez-vous les lieux ? Sur quelles pistes de travail pensez-vous vous diriger ?
C’est toujours passionnant et difficile de se retrouver catapulté, de découvrir un lieu avec son histoire, ses règles, ses enjeux. J’oscille toujours entre l’envie de ne pas déranger et celle de prendre le lieu à bras le corps et comme un terrain de jeux.
Les Archives Départementales sont un endroit ne renfermant presque que du texte, j’aimerais pouvoir révéler quelques images cachées derrière ces textes.
Avant d’éprouver le lieu, je me suis attachée à son nom : Les Archives.
Archives (archivés) est un mot lourd de sens, de significations, et j’ai eu comme souvent envie de prendre la tangente, de bifurquer, de lui « tordre le cou » et d’activer autre chose, quelque chose qui n’est pas immédiat ou évident, mais néanmoins présent en son sein. Je suis donc partie sur l’unique anagramme du mot « archives » qui est « chavirés ».
Il m’a semblé qu’il y a quelque chose de l’ordre du naufrage dans une telle entreprise. Comment les documents stockés et triés s’échouent-ils là  ? D’où viennent-ils ? Quelle est leur fonction, le mode de sélection, quels en sont les utilisateurs, etc.
Encore une fois, c’est le fait d’échouer, l’échec comme ouverture potentielle pour construire autre chose qui me vient à l’esprit.
• Qu’allez vous présenter au public lors de l’inauguration de votre résidence aux Archives Départementales de la Dordogne ?
C’est une sorte d’invitation au voyage dans mes archives de travail. Il s’agit de différents travaux déjà produits que je tente de connecter au double « archivés/chavirés », et qui vont se trouver revus ou étendus pour le lieu. Ces pièces formeront des entrées possibles vers mon univers.
C’est la première fois que je fais une exposition où presque toutes les pièces présentées sont déjà produites ; une partie de ce premier mois de résidence sera donc consacrée à les expérimenter dans le lieu (qui à première vue possède déjà un nombre étonnant de signes graphiques) et de les réactiver dans ce contexte et ces contraintes. Mais plutôt que de me cantonner à la salle d’exposition, territoire dédié et identifié comme tel, je préfère investir les lieux fréquentés par les utilisateurs : la salle de lecture, le hall, etc.
Je voudrais quand même tenter durant ce mois un nouveau projet, qui prendrait la forme d’une partie de bataille navale sur les murs de la salle de lecture, qui s’y prête parfaitement. Un projet évolutif sur une semaine, nommée « touchés/coulés », dont les traces seraient présentes visuellement pendant la durée de l’exposition.
Archivés, chavirés, échoués, fantômes
Je pourrais passer des journées entières dans le dictionnaire (c’est d’ailleurs ce que j’ai fait aujourd’hui !). Et j’en profite pour faire un lien avec l’une des conférences de Erin McKean (au TED) que j’aime particulièrement pour son enthousiasme…
Donc aujourd’hui, j’étais en quête de réponses. Des réponses sur le vocabulaire et par extensions les idées que je vais manier pour ma résidence et l’exposition aux archives.
Ce qui est parfait avec les dictionnaires, c’est que l’on se retrouve toujours avec des réponses dont on n’avait pas posé les questions…
…Quelques mots sur lesquels j’ai fait des recherches.
> Archives vient du grec arkahaia/arkhê (commencement, pouvoir). C’est assez étonnant pour un mot qui désigne à la fois l’ensemble des documents et le bâtiment où ils sont stockés, conservés, en fin de vie, prend sa source dans « commencement ».
> Chavirés est un mot provençal (cap virar) qui veut dire tourner la tête (en bas). Bien sur il y a le double sens que j’aime beaucoup : à la fois se retourner sur soi-même quand il s’agit d’un navire, mais aussi, pour une personne, être fortement émue par quelque chose…
J’ai aussi appris à cette occasion que les mots échouer et échec n’avaient pas la même racine, contrairement à ce que je pensais (échec viens du persan : le roi est mort).
Échouer (et s’échouer) a un sens beaucoup moins négatif qu’il n’y paraît, mais son origine est obscure : soit il vient de échoir (= être dévolu par le sors ou le hasard) et choir, avec pour résultat une certaine immobilité, soit il vient de « escoudre » (= secouer). Cette dichotomie me fait penser au sort des divers documents qui arrivent hasardeusement aux archives : à la fois conservés, immobiles, et sans arrêt déterrés, consultés.
Pendant ma visite aux archives, j’ai été impressionné de voir à quel point la définition du mot archives est large : il ne s’agit pas uniquement de papier. Toutes sortes d’objets entrent dans la catégorie « archives », j’y ai par exemple vu une quantité de plaques d’imprimerie plus passionnantes les unes que les autres.
On m’a aussi parlé du vocabulaire spécifique à ce domaine, et le mot qui m’a le plus marqué est le « fantôme », ce papier que l’on laisse en place d’un document qui est monté en salle de lecture… Les archives, un vaisseau fantôme ?
S’échouer
Me voici de retour de Périgueux, où j’ai passé la journée d’hier pour mettre en place le planning et l’organisation de ma résidence avec l’agence culturelle départementale. J’ai visité les archives, où je vais en partie travailler, et où se tiendra une première exposition en octobre (il y en aura une autre en juin 2010, à la fin du programme de résidence qui durera 3 mois. Sept.09/avril2010/juin2010).
La date de l’exposition aux archives départementale étant fixée, on m’a demandé de faire une proposition pour la semaine prochaine (!?). Elle a pour but de présenter mon travail, pas forcément produire de nouvelles pièces. Mais en voyant l’espace d’exposition, une salle immense – mur blanc, parquet – un white cube dédié, j’ai quand même décidé que ce serait surement mieux d’intervenir dans les espaces fonctionnels plutôt que d’exposer dans une salle à part… Et donc de produire quelque chose de nouveau en fonction du contexte.
J’ai listé ces endroits :
– L’entrée (une première entrée vide avec la machine à café squatté par les lycéens)
– Le hall d’entrée avec la réception, avec son panneau blanc (projection?)
– La salle de lecture (les écrans de veille des ordinateurs, les lampes?)
– Les escaliers
– Les sous-sols
– les bureaux de l’administration (mezzanine).
Le lieu des Archives est passionnant : pour le moment, parce que je ne l’ai pas pratiqué plus que ça, plus par l’activité humaine qu’il génère, les protocoles et les déplacements mis en place, sa masse, etc., que par les kilomètres d’informations qu’il renferme réellement.
J’ai aussi visité le lieu de résidence, une petite villa étrange et calme sur une colline de la ville, dont le chemin privé est bordé d’un panneau digne de romans policiers. Je le trouve pas mal d’ailleurs ce panneau, il me fait penser que beaucoup de gens vont aux archives pour creuser dans ce qui est enfoui, qu’ils réalisent des autopsies administratives en quelques sortes.
Chavirés
J’ai appris la semaine dernière que j’étais lauréate pour la « résidence de l’art en Dordogne » 2009-2010, aux Archives départementales de la Dordogne !
Je pars donc la semaine prochaine à Périgueux pour finaliser la convention qui me permettra, pendant 3 mois l’année prochaine, de travailler aux archives départementales pour produire une série de travaux, notamment sur le web (mais j’espère bien pouvoir ramifier et créer d’autres extensions via d’autres médiums).
J’aime bien ce temps d’a-préhension qui précède le départ d’un projet, où les choses vont assez lentement et où les idées sont encore ouvertes et floues, ce moment qui permet de fantasmer un projet, un lieu, un mode travail. Un temps assez subjectif aussi, où la réalité n’a pas encore appliquée son principe. Et donc aujourd’hui, j’ai déjà décidé d’une direction que prendrait le travail en lui donnant pour titre la seule anagramme du mot archives.
Me voila donc partie pour travailler sur le naufrage.
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