Tu m’écris souvent et je t’en sais gré, car ainsi tu te montres à moi par le seul moyen dont tu disposes. Chaque fois que ta lettre m’arrive, nous voila tout de suite ensemble.
Si nous sommes contents d’avoir les portraits de nos amis absents (…) comme une lettre nous réjouit d’avantage, puisqu’elle apporte des marques vivantes de l’absent, l’empreinte authentique de sa personne. La trace d’une main amie, imprimée sur les pages, assure ce qu’il y a de plus doux dans la présence : retrouver. »*
.
Dans quelques jours, je pars pour Pau, où je vais travailler à un atelier de l’école d’Art, dans le cadre du festival Acces-s. Cet atelier portera sur l’archive, et notamment sur un exercice que je pratique quotidiennement ici : l’auto-archivage immédiat.
Cette question de l’archive, sous la forme spécifique d’hupomnêmata, est récurrente dans mon travail et je suis toujours surprise quand on me propose une résidence, ou de donner une conférence (dans 2 semaines au musée des beaux-art d’Orléans), un workshop sur ce thème, car il me semble que je me trouve à 10000 lieux de l’archive en tant que stockage et de la conservation d’informations.
Pour ma part, ce type d’archive a une durée de vie limitée (comme une Å“uvre d’art d’ailleurs, notamment numérique – voir la thèse d’Anne Laforêt) et je ne m’intéresse pas à sa conservation ou à rendre compte d’une certaine mémoire de manière didactique (j’envisagerai plutôt la conservation d’une Å“uvre d’art numérique comme un accompagnement vers sa disparition).
Me balader cet automne dans les quelques 20km de couloir d’Archives à Périgueux a été une expérience étrange… Généralement, on n’accède pas aux archives par leur matérialité (un lecteur se rend rarement dans les étages où elles sont stockées) mais par leur index, par la recherche dans une base de données, cette matérialité reste très présente dans son absence. L’ impression très pesante de ces milliers d’informations disponibles m’a fait me poser une fois de plus la question de cet auto-archivage que je mets en place dans mon blog : pourquoi produire plus d’archives, dans quel but ?
La réponse serait que l’auto-archivage permet une pratique qui se déploie dans le partage. Parfois, il fait Å“uvre (un peu à la Jonas Mekas finalement) et il en découle une certaine esthétique. Je reste convaincue que ce travail quotidien appartient bien à une sorte de réactivation et non à la conservation classique.
Je relis ce soir le texte « l’écriture de soi », ce très beau texte de Foucault.
« Il ne faudrait pas envisager ces hupomnêmata comme un simple support de mémoire, qu’on pourrait consulter de temps à autre, si l’occasion s’en présentait. Ils ne sont pas destinés à se substituer au souvenir éventuellement défaillant. Ils constituent plutôt un matériel et un cadre pour des exercices à effectuer fréquemment : lire, relire, méditer, s’entretenir avec soi-même et avec d’autres, etc. Et cela afin de les avoir, selon une expression qui revient souvent, prokheiron, ad manum, in promptu. « Sous la main » donc, pas simplement au sens où on doit pouvoir les utiliser, aussitôt qu’il en est besoin, dans l’action. Il s’agit de se constituer un logos bioéthikos, un équipement de discours secourables, susceptibles – comme le dit Plutarque – d’élever eux-mêmes la voix et de faire taire les passions comme un maître qui apaise le grondement des chiens. Et il faut pour cela qu’ils ne soient pas simplement logés comme une armoire aux souvenirs mais profondément implantés dans l’âme, « fichés en elle » dit Sénèque, et qu’ils fassent ainsi partie de nous-mêmes : bref, que l’âme les fasse non seulement siens, mais soi.
L’écriture des hupomnêmata est un relais dans cette subjectivation du discours. »
*Sénèque. Livre 4, lettre 40.