Archive mensuelles: août 2013

Auto-archivage, réflexions sur un projet de recherche en école d’art

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Auto-archivage immédiat, couverture du livre à paraître à la rentrée

 

Un long article pour fêter la fin d’un long travail de 3 ans autour de ce que j’ai appelé l’auto-archivage immédiat. Ce travail, à la fois réflexif et plastique, a pris la forme d’un projet de recherche à l’école supérieure d’art de Bretagne, où j’enseigne, et m’a permis de collaborer avec plusieurs amis et artistes/critiques dont j’estime le travail (Gwenola Wagon, Reynald Drouhin, Dominique Moulon, Karine Lebrun, Grégory Chatonsky, Sylvie Ungauer…), ainsi que quelques étudiants maintenant anciens étudiants devenus artistes (Thomas Daveluy).
Pour mettre un point final à ce projet, j’ai décidé d’écrire cet article pour, d’une part, montrer des morceaux de l’édition rétrospective du projet : une édition sur laquelle j’ai travaillée avec Marie Daubert pendant 8 mois, et à laquelle je mets les dernières touches ces jours ci. Et d’autre part faire un état des lieux de ce projet et partager ce que cette première expérience de projet artistique au sein du école a pu générer comme réflexions…

J’ai donc commencé par un résumé, pour recontextualiser le projet… J’en ai fait des tas et j’ai pris le premier qui m’est tombé sous la main : le projet étant développé dans un cadre institutionnel, sa validation m’a demandé maintes rédactions qui m’ont pris un temps précieux que j’aurai pu consacrer au temps de création. Bref, je n’en ferai pas un de plus !
Ensuite viennent la façon dont nous avons structuré le temps de travail, les créations réalisées dans le cadre du projet, les moyens mis en œuvres, et enfin les difficultés rencontrées… J’ai construit cet article de façon très simple, en essayant d’être le plus claire possible, notamment pour ceux qui ne savent pas ce qu’est un projet de recherche en école d’art (j’ai ma propre définition, mais je crois qu’elle n’est pas politiquement correcte alors je me la garde ;) )

 

Rappel du projet et du contexte de la recherche

L’art numérique et la textualité d’internet ont profondément transformé le principe et les modalités de l’écriture qui emprunte des supports de plus en plus interactifs.
L’utilisation des supports artificiels de mémoire par les artistes au cœur même du processus de création, tend à réduire encore la distance qui sépare l’acte de création et sa restitution finale. (La ligne de recherche a défini son champs de recherche d’après les supports de mémoire tels que : les sites internet, blogs, tablettes tactiles, Smartphones, ou encore publications à la demande)
Le blog, notamment, a été investi par de nombreux artistes numériques et contemporains, jusqu’à en faire œuvre : à la fois interface, atelier ouvert, c’est un processus de création partagé qui se rapproche d’une pratique de notation quotidienne comme a pu l’expérimenter Jonas Mekas, ou encore des « Huppomnêmata » tels qu’évoqués par Foucault dans « l’écriture de soi ».
L’apparition des blogs et autres stockages de mémoire partagée a permis un nouveau type d’archivage : l’auto-archivage immédiat, qui, non figé, se reconstitue en permanence, et sur lequel le lecteur peut interagir. Ainsi, l’œuvre-archive inclut sa genèse, ses hésitations, ses retours, ses commentaires, ses silences, sa réception.
Cette émergence produit de nouvelles formes plastiques et esthétiques fondées sur le réseau, l’interactivité, le flux, le fragment, la pluralité des discours.
À ce jour, les blogs, tant comme outils pour les créateurs, que comme moyens plastiques pour les artistes, ou encore dans le milieu des étudiants en art, sont extrêmement répandus. Or, il n’existait aucune recherche qui rende compte de l’étendue et de la qualité de ce phénomène. Encore moins de retour critique et d’expériences concrètes & conscientes de cette pratique.

Initiée en 2010, pour deux ans, la ligne de recherche « De l’auto-archivage comme œuvre » a donc proposé à plusieurs artistes – enseignants des quatre sites de l’EESAB (= les beaux-arts de Lorient, Rennes, Quimper et Brest) et à des praticiens de l’art venus de divers horizons géographiques de réfléchir à ces questions.
Il ne s’agissait pas de lister un nombre d’expérimentations ou d’espaces d’archivages d’artistes dont le contenu serait intéressant, mais bien pour les acteurs de cette recherche de s’emparer de ces outils et les transformer en matière à pratiquer jusqu’à en faire œuvre, tout en y portant un regard critique.
Les acteurs de cette recherche, par choix principalement des artistes (mais pas uniquement) ont été choisis pour la qualité de leur pratique au regard de celle-ci, pour leur envie critique et connexion à d’autres champs disciplinaires. Ainsi nous avons développé plusieurs directions complémentaires mais parfois aussi opposées, que nous avons définie comme résolument ouvertes et heuristiques, favorisant ainsi la diversité des points de vus, des expérimentations et des discours.

La recherche s’est structurée en temps de réflexions, de partages et de productions. Ces moments ont été appréhendés comme des plateformes de créations concrètes : résidences de production, dialogues et échanges théoriques entre artistes, critiques et étudiants lors de rendez-vous mensuels ou lors du séminaire de recherche dont traite spécifiquement le numéro de la revue Pratiques – réflexions sur l’art (Presses universitaire de Rennes) à paraître à la rentrée 2013. (Un autre objet éditorial, spécifique à la recherche et aux pistes suivies, envisagée comme une production plastique en temps que telle, a été mise en route à la rentrée 2012, j’en parlerai plus bas plus spécifiquement).
Ces moments d’échanges ont donné à chacun un temps pour présenter les pistes suivies individuellement et avoir des retours critiques. Un deuxième temps a été réservé à la recherche dans son ensemble : il a permis de dégager des problématiques plus générales et de concevoir une production commune.
Des temps de travaux communs plus conséquents ont permis des échanges en profondeur et d’éprouver en pratiques certaines pistes chercher individuellement :
•  Octobre 2011 : Résidence de recherche et d’écriture au Centre National des Écritures du spectacle à Villeneuve Lez Avignons,
• Décembre 2011 : séminaire de recherche à Lorient,
• Juin 2011 : réunion de travail d’une journée pour clôturer le projet
• Octobre 2012 : Réunion de mise en place de l’édition rétrospective du projet de recherche,
• septembre 2013 : sortie de la revue Pratiques,
• octobre 2013 : sortie de l’édition

 

Expérimentations réalisées pour le projet

La recherche a donné lieu à des expérimentations et retours critiques qui l’orientent vers diverses directions encore à interroger, à pratiquer et prolonger. En effet, le temps d’un projet de recherche se ressent comme un activateur, un précieux moment à consacrer – en dehors du temps quotidien – à une recherche fondamentale à long terme, dont les résultats se ressentiront bien au delà du temps effectif de celle-ci.
Le projet s’est naturellement centré autour du titre « De l’auto-archivage immédiat comme œuvre ». Nous avons laissé la question de l’archive classique (trop vaste à traiter sur le temps imparti et déjà de nombreuses fois traitées) pour nous concentrer sur des pratiques et dispositifs qui se développent dans des flux, avec une capacité de produire de la mémoire et archives de manière automatisée ou semi-automatisée – questionnements qui nous semblaient plus proches et contemporains de nos pratiques.
Nous nous sommes rejoints sur des dispositifs qui interrogent notre relation à l’archive (c’est-à-dire aux informations et traces conscientes ou organisées par la société en réseau) que nous laissons sur Internet, mais qui dialoguent sans complexe avec des supports dits plus traditionnels, tel que le livre, le dessin, l’impression. Plusieurs expérimentations ont effectivement exploré l’édition papier avec l’idée d’opérer un va et vient ou/et de déplacer la  production déjà existante d’un blog, d’un film, d’une performance, vers la forme du livre.
Ce type de publication auto-éditée et son contenu s’appuie davantage sur la notion de processus, reprenant ainsi nos manières déjà éprouvées de considérer une publication sur le web : montrer une pensée en action, ce que nous appelons un auto-archivage.
Ici, l’archive n’est plus uniquement le lieu du stock exhaustif mais devient une forme qui se modifie et se définie au moment de sa production.

Autour de ces questionnements, deux catégories d’expérimentations ont émergé :
– les propositions autonomes, œuvres développées naturellement dans le cadre de cette réflexion,
– les propositions qui prennent comme contenu et questionnent la recherche elle-même.
Par ailleurs, un site internet qui regroupe toutes les propositions et ressources liées à la recherche a été créé : http://incident.net/recherche

 

Moyens mis en œuvre

– Résidence au Centre national des écritures du spectacle (Villeneuve Lez Avignon) dans le cadre des « résidences collectives de recherche, d’expérimentation et d’écriture », Octobre 2011.
La résidence de quinze jours à la Chartreuse a eu pour but de prolonger cette recherche et de proposer à un auteur de travailler à partir du grand nombre de textes et médias qui ont été générés par la plateforme en ligne du projet de recherche.
Y étaient présents Sylvie Ungauer, Reynald Drouhin, Julie Morel,  deux étudiants de l’EESAB, ainsi qu’un auteur.
Nous avons choisis de collaborer avec Yannick Liron (enseignant à l’EESAB site Lorient) dont le principe de travail s’approche du nôtre, notamment dans ses rapports à la ritournelle, la mémoire, la variabilité et le flux.  Les données générées par la recherche et son site internet lui ont servis de base pour la production d’un texte destiné à être performé. Ce texte apparait dans la publication de la recherche. (Il est aussi disponible en ligne sur le site consacré à la recherche).

– Séminaire de recherche / EESAB – Site de Lorient, décembre 2011
Sur trois jours et demi, ce séminaire a questionné l’auto-archivage immédiat : l’archive dans sa capacité à se reconstituer en permanence, et sur laquelle on peut interagir à tout moment, devenant fluctuante, variable, instable. Les interventions ont été organisées selon un schéma partant de pratiques utilisant ou réactivant des archives « statiques » pour ensuite se concentrer vers celles prenant à bras le corps les nouvelles possibilités d’automatisation des archives immatérielles et leurs flux :
– la bibliothèque de l’histoire de l’art comme une archive systématiquement disponible, réactivable et questionnable,
– l’utilisation des blogs comme auxiliaire, externalisation de la mémoire,
– l’auto-archivage immédiat et le blog comme outil de création in Progress,
– le fantasme de la conservation de l’archive numérique matérialisée par des moyens hybrides, mixant papier et données virtuelles,
– l’enregistrement et la circulation des données comme dispositif artistique,
– l’auto-archivage immédiat comme œuvre-outil de cyberactivisme artistique et politique,
– les représentations du monde vues par le biais des flux archives en ligne,
– l’amnésie liée à l’auto-archivage immédiat et la détermination à excaver des documents perdus ou cachés et leur partage par le biais de publication à la demande.

 


Publications

– Publication des Actes du séminaire sur l’auto-archivage immédiat (Numéro spécial de la revue Pratiques – Réflexions sur l’art).
Pratiques propose un recueil de documents destinés à mettre en évidence les enjeux des pratiques artistiques contemporaines. Ces enjeux relèvent plus particulièrement du domaine du concept, de la forme plastique ou de la monstration. Cette revue est soutenue par trois institutions en correspondance avec les axes de réflexion de la revue : l’EESAB, l’Université Rennes 2, le FRAC Bretagne, et elle est éditée en collaboration avec les Presses Universitaires de Renne, ce qui permet une diffusion et son encrage au niveau des professionnels de l’art.
Ce numéro de Pratiques rassemble toutes les interventions qui ont eu lieux lors du séminaire de recherche à l’EESAB site de Lorient, du 7 au 9 décembre 2011. Nous avons laissé le choix aux artistes, chercheurs et critiques invités quant à la forme que devait prendre la retranscription de leurs interventions. Certains ont choisi de partir du support de leur présentation, d’autres en ont souhaité une simple retranscription, enfin d’autres ont décidés de la rejouer complètement.

– Édition rétrospective de la recherche
J’en parlais dans l’introduction, un objet éditorial synthétique, vu comme une production artistique en tant que telle, a vu le jour. Cette publication a été l’occasion d’un dernier temps commun d’environ une semaine, envisagé comme un temps de résidence à l’atelier que j’occupais alors à la Gaité lyrique.
Tous les acteurs de cette recherche – équipe de recherche et artistes, écrivain, critiques qui se sont impliqués à un moment ou à un autre (séminaire, résidence, etc.) – étaient présents, pour une conception collaborative, un moment de travail commun affirmé comme un point de vue esthétique : un atelier ouvert qui englobe la conception ainsi que l’archivage de cette conception traitée en temps réel, sous la forme d’une pratique de notation quotidienne.
Menée ensuite graphiquement en solo avec Marie Daubert, pendant 6 mois, cette nouvelle aventure éditoriale m’a permis d’ouvrir la recherche à pistes encore non suivies et à des potentiels encore non explorés. Elle a permis d’intégrer d’autres points de vues, d’autres propositions (critiques ou plastiques) d’artistes qui n’ont pas forcément pris part à celle ci.
J’ai décidé de travailler sur trois parties distinctes mais liées entre elles, chacune de ces trois parties étant formellement clairement identifiées :
1 – Flux. Cette première partie, qui regroupe les propositions produites par les artistes qui formaient l’équipe de recherche, est traitée sous la forme d’un flux, comme une navigation internet. Les images et textes se suivent, se télescopent, parfois sans liens apparents. Bien sur ces liens existent, qu’ils soient ténus ou non. J’ai traité ces propositions sous une forme de montage en tenant compte de la dimension à la fois linéaire (difficilement contournable avec un ouvrage relié), mais aussi hypertexte (dans le traitement, les enchainements et rapprochements possibles entre les différents contenus).
Imprimée en couleur sur un papier assez épais, cette partie constitue donc un remontage de ce que nous avons produit, une réactivation sous la forme d’une translation du médium internet à un médium papier.
2 – Une appendice, qui recontextualise les sites internet, blogs, images et textes utilisés dans la première partie. Cette recontextualisation passe par l’explication de chacun des projets. Elle en donne également les références ou les données liées : pages internet, vidéos, animations contenues « derrière » les liens hypertextes.
Cette partie est traitée en bichromie, sur du papier légèrement gris. Il s’agit d’un méta-espace, qui permet à la fois de préciser les choses vues dans la première partie, mais aussi un espace plus loin de la recherche elle-même.
3 – L’annexe, qui regroupe des interventions externes à la ligne de recherche. Elles prolongent, critiquent ou donnent un point de vue différent sur l’auto-archivage immédiat. Ces interventions sont laissées comme un espace libre aux artistes et théoriciens invités ; ils peuvent faire référence ou retour sur leur pratique ou adopter un point de vue critique vis-à-vis des projets présentés dans la première partie.
L’annexe est traitée sur un mode N&B de type photocopie, comme quand on consigne les références, outils, documents d’un travail en cours.

Des exemples des pages de chaque partie.

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Implication pédagogique de cette recherche / Articulation recherche – pédagogie

Dès le début de la recherche des étudiants de 5ème année se sont impliqués dans les échanges, quelques uns ont commencé un travail personnel suite à cela. Là aussi les choses se sont faites à la fois naturellement, mais aussi avec quelques difficultés, car pour beaucoup, la pression du diplôme les dirige vers un travail plus individuel et auto-centré. Quelques étudiants ont réalisé qu’il y avait des affinités entre leur travail et les problématiques abordées et lors de la deuxième année de la recherche, ces étudiants alors diplômés ont intégré l’équipe de recherche en tant qu’artistes (et à ce titre ont été rémunérés). Je trouve les propositions produites justes et rigoureuses : la qualité plutôt que la quantité donc ; )
De façon plus générale, les bénéfices apportés par le projet de recherche dans l’enseignement ont été étendus : approfondissement d’un ARC qui existait déjà, possibilité pour des étudiants de participer à une résidence dans des conditions professionnelles et d’en appréhender le fonctionnement et la temporalité. J’ai peu aussi noter le gros impact du séminaire de recherche sur tous les étudiants (environ 90 étudiants l’ont suivi du début à la fin) ; leurs retours ont été positifs et ont porté sur le fait d’être témoins d’une pensée et une production très contemporaine en train de se construire. Ils se sont aussi sentis proches du fait qu’une pensée critique et une production artistique pouvaient aller de paire et n’étaient à aucun moment en opposition l’une de l’autre.

 

Problèmes spécifiques

Pour finir, j’ai fais le choix de mettre en relief et de partager quelques points positifs et difficultés concrètes rencontrées lors de cette première recherche à l’EESAB.
Il m’a semblé par exemple important d’observer les ressemblances et dissemblances d’une recherche  « officielle » et celles non officielles qui s’opèrent constamment, que ce soit dans le cadre d’une pratique artistique (pour ma part au sein du collectif incident.net, ou dans ma pratique individuelle d’artiste) ou d’une pratique d’enseignante (à l’EESAB) où j’envisage l’enseignement au même titre qu’une recherche artistique (ou au minimum comme son prolongement – sans cela je trouve l’enseignement désincarné de sa raison d’être).
Je suis donc posée la question selon plusieurs angles, qui sont liés et se superposent constamment :
• L’équipe de recherche
• Les moyens affectés à celle-ci
• L’articulation recherche – pédagogie
• La temporalité de la recherche
• Terminologie

• Équipe de recherche :
Habituée à travailler en collectif, de manière prospective ou dans une production effective, le fait de collaborer avec une équipe de recherche assez importante ne m’a pas semblé poser de problèmes en terme de contenu. Les échanges ont été généreux et constructifs, les retours critiques de l’équipe ont permis un questionnement constant et des avancées sur chacun des travaux : en effet pour ce qui est de la production individuelle, les différents acteurs se sont impliqués bien au delà de ce qui leur était proposé.
Néanmoins, la partie commune du projet de recherche (qui a pris la forme d’une plateforme commune, mais aussi dans une certaine mesure, l’édition) a parfois eu plus de mal à trouver sa place, cela pour plusieurs raisons :
– dans la temporalité imposée (1 ans 1/2)  il a été difficile pour certains de faire la synthèse d’une pratique en train de se créer et d’en déplier et/ou rejouer les différentes problématiques dans un projet commun, cela aurait donc nécessité un temps de recherche un peu plus long (6 mois au minimum).
– le temps alloué à cette recherche ne permettait pas un investissement total dans celle-ci, principalement pour des questions de temps liées à une réalité financière.

• Les moyens affectés à la recherche :
> Moyens financiers :
Pour rappel, il paraissait évident lors du montage du projet de recherche que :
– Les enseignants-artistes tout comme les autres acteurs de cette recherche soient rémunérés.
Ce n’est pas un fait admis aujourd’hui dans la majorité des écoles. Pourtant une rémunération est premier lieu symboliquement nécessaire, mais tout aussi concrètement nécessaire parce que s’investir dans ce type de recherche peut mettre en péril l’activité artistique d’un plasticien (je n’ai en effet jamais aussi peu produit que ces 2 derniers années, cela par manque de temps pour moi, et cette sous production m’a pesée à la fois dans ma pratique mais aussi financièrement).
La rémunération que j’ai demandé pour l’équipe était de l’ordre du symbolique, et donc en deçà de la forte implication de celle-ci e. Il ne serait pas viable à long terme de fonctionner comme cela si l’on attend un investissement de qualité de la part des différents acteurs. Le financement de la recherche et la rémunération des personnes réellement investies reste un tabou au sein des écoles (je me demande pourquoi puisque l’on nous rabat les oreilles du modèle de la recherche universitaire – à mon avis pourtant hors-contexte par rapport à une recherche artistique – ou les enseignants chercheurs sont rémunérés, cela de manière claire et contractualisé).
– Un fond mobilité important soit prévu. Nous avions prévus ce fond, et il s’est avéré très utile et a été utilisé dans sa totalité. Il faudrait donc prévoir un budget un peu plus étendu lors des prochains projets au sein de l’EESAB (qui comporte 4 sites, ce qui multiplie les allers-venues).
Mon prochain projet, Géographies variables, a déjà commencé et j’ai peur d’avoir été trop juste dans ce calcul…
> Moyens humains :
– Un dégagement de 2h sur l’emploi temps a été dégagé pour les enseignants de l’EESAB.
Nous avons pu constater que ce temps était insuffisant et sans le grand nombre d’heures alloués à la recherche par chacun sur son emploi du temps personnel, la recherche n’aurait pu avancer efficacement. Il nous semblerait donc nécessaire de faire passer ce temps de 2 à 4h (ce qui est recommandé par l’ANDEA); et dans le cas contraire je crains que peu d’entre nous renouvellerons l’expérience…
Dès le début, cette recherche a du inventer ses propres moyens d’existence et de méthodologie, ce que nous avons ressenti comme positif et nécessaire. Nous sommes partis sur un fonctionnement « off-shore », c’est à dire en dehors de l’école, mais néanmoins lié à l’école. Il peut sembler étrange qu‘une recherche dans une école se fasse hors école. Ce choix découle des questions concrètes évoquées plus haut mais aussi d’une volonté de notre part de trouver des moyens proches du contexte artistique actuel. Nous avons donc oscillé entre différents lieux :
– Lieux de vie personnelle : les moments d’échanges, avancées communes sur la recherche ont eu lieu lors de réunions régulières la plupart du temps à Paris, pour des raisons de logistiques (les acteurs étaient répartis sur une grande zone géographique), certains artistes/étudiants prenant part à la discussion via Skype.
– Les différents sites de l’EESAB ont été investis par la recherche lors de moments pédagogiques qui ont été gérés individuellement par chaque artiste-enseignant. Une plus grande porosité entre les moments/projets pédagogiques sur les différents sites aurait été bénéfique pour le projet comme pour les étudiants.
– La Chartreuse CNES nous a accueillis lors d’une résidence de 15 jours, qui s’est avéré fort opérante car elle a permis de réunir les acteurs sur un long temps commun, créant un dynamisme dans les propositions, et aussi un temps de vie commune, ce qui était important : apprendre à se connaitre, échanger lors de moments non dédié au projet, parler de la d’où l’on vient artistiquement, digresser et apprécier les habitudes et méthodes de chacun.
– L’EESAB (Lorient) a accueilli le séminaire de recherche qui a été un outil conséquent pour la recherche, tant au niveau critique que pédagogique, j’en parlais plus haut.
– Internet : Nous avons choisi, en cohérence avec le sujet traité, de rendre notre recherche accessible via internet. Comme je le disais plus haut, j’ai mis en place et produit la plateforme en solitaire, par manque de temps et d’investissement des autres ; j’aurai aimé un deuxième temps de résidence commun pour pouvoir concevoir cela ensemble. Néanmoins, cette plateforme, fort simple, s’est avérée intéressante pour le partage des données entre les acteurs et pour une meilleure visibilité du projet à l’extérieur.
(Cette expérience nous a fait nous poser la question plus générale de la visibilité de cette recherche à l’intérieur de l’EESAB. Une plateforme globale pour tous les projets de recherche de l’EEASB serait un bon moyen d’avoir des retours sur un seul projet, tout en permettant de créer des connexions avec les autres projets).

Moyens de restitution d’une recherche.
Ils ont été principalement éditoriaux : internet et publication. Pour clôturer cette recherche, il aurait été intéressant par exemple de mettre en place une expérience liée au commissariat d’une exposition, de la déplacer et de la rejouer sous la forme d’une mise en espace. C’est une possibilité à laquelle je réfléchis encore, bien que la recherche soit officiellement terminée. Si la publication m’a semblé un moyen cohérent pour garder une trace et en diffuser certains aspects, je suis persuadée qu’elle ne doit en aucun cas devenir une norme pour la restitution d’une recherche. La publication en ligne comme le site internet expérimental, l’exposition comme la conférence, la projection ou l’organisation de démo, voir même la création d’un festival ou d’un chantier de type ateliers peuvent être les moyens à investir et expérimenter.
On peut, par ailleurs, de manière plus pragmatique, citer la dissémination et les liens tissés par Auto-archiave immédiat avec d’autres écoles,  institutions et artistes  :
– lors du séminaire, des enseignants de Pau et Avignon étaient présents et nous avons pu échanger et nous rendre compte que cette recherche trouvait des échos sous d’autres formes (longue conservation, recherche lié au design graphique)
– Dominique Moulon et moi-même sommes invités à Sc. Po paris pour un semestre (Master) pour un cours qui découle directement de cette recherche.
– Participation au séminaire Territoires, mutations & archives (Tarbes, Chrystelle Debordes, revue Echappées n° 2)
– Participation à un projet de revue en ligne avec le collectif Kom.post
– Cycle de conférences à la BNF en février sur ses questions, notamment à un niveau éditorial.

• Temporalités de la recherche
La recherche est officiellement arrivée à son terme. Pourtant, celle-ci ne fait que commencer : nous avons activé des pistes, lancé des projets et les aboutissements de cette recherche sont encore à venir. Elle nous a influencés dans notre travail plastique personnel comme dans notre enseignement. Sa temporalité va bien au delà de ce que nous avions prévu et il est presque frustrant de s’arrêter ici. Bien que cette recherche m’aie habitée complétement et qu’elle émanait d’une expérience de mon travail d’artiste, je l’ai parfois trouvée, dans son fonctionnement, loin de ma manière d’envisager une proposition. Lors de la prochaine recherche (pour géographies variables, qui à tout juste commencée!), j’ai décidé de m’accorder un temps de travail balisé au sein du projet car pour la personne qui dirige une recherche, le temps alloué à l’administratif, à l’organisation est une entrave permanente au travail artistique…

• Terminologie
Je termine cet article par terminologie :  )
Les mots des la recherche en art sont de véritable maux. J’en suis sure, ces mots n’émanent pas d’artistes – les premiers et seuls acteurs incontournables de l’art.
Mais qui a trouvé le mot recherche ? Le mot direction scientifique ? (pourquoi pas direction artistique ?) Ligne de recherche ? Laboratoire ? Validation ??? (Toutes ces questions sont rhétoriques bien sur, je sais très bien qui à Bologne ou en France rêve d’aligner les écoles d’art…). Mais pourtant je ne rêve pas. À croire que les écoles ne sont pas pleines d’artistes – plasticiens, sculpteurs, vidéastes, écrivains, critiques, historiens – capables de définir eux-mêmes, de manière critique, leurs pratiques/leur recherche. Les artistes ne se sont pas gênés pour le faire depuis des lustres, manifestes et écrits sur l’art sont là pour en témoigner et je pense que des pistes sont à explorer de ce côté là…

Nous sommes nous faits rattraper par le profiling du langage ?

Cette semaine, lectures d’été

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Alors que je viens d’installer une antenne satellite à Briant, et que j’attends tranquillement les prochains résidents, je trouve dans ma boite aux lettres cette semaine : L’Ève future – spécimens de Fontes libres. Un cadeau de Manuel Schmaltieg, créateur de Greyscale Press, qui m’a fait parvenir ce livre réalisé avec ses étudiants à la HEAD, lors d’un atelier autour de la typographie libre. Ou quand édition, art et littérature cohabitent avec intelligence ! Une bonne lecture, une vraie bible qui mêle un répertoire typographique et récit de science-fiction (L’Ève future) publié en 1886 par Auguste de Villiers de L’Isle-Adam.
Et puis aussi, dans le hamac (posture à l’opposé de cette) relecture de Microserfs.
Alors qu’il a été écrit en 95, tout y est déjà : L’impacte d’internet dans la société et nos interactions sociales, les spams, les sub-primes, les générateurs de de textes, l’obsolescence de l’homme, les bases de données géantes, les memes.

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Briant, permière résidence de l’été

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Première résidence d’écriture de cette été, improvisée et réussie. Zoé Wolf, ancienne tête pensante des Konki Duets a récemment délaissé la musique pour d’autres formes d’écriture : quelques chansons (notamment pour son ancienne coéquipière Kumisolo), mais surtout un l’écriture d’un Pulp, avec un humour et des formules coup de point qui lui sont si personnelles…
Ambiance studieuse pour le moment, au frais dedans et une chaleur incroyable dehors. Puis sera au tour des visites de Mia Habib Haugland, danseuse rencontrée lors du voyage à Clipperton, suivit de David Poullard et Guillaume Rannon, et enfin pour les résidences Géographies Variables : Cécile Babiole et Cécile Azoulay pour la France et Max Gasnier de Montréal.