À quelques jours du départ à Clipperton, je lis le journal de bord (qui est plein de faits intéressants) de Christian H. JOST, qui s’y est rendu en 1997.
« La carte IGN de l’île (de 1937, la seule existante) indique deux points possibles de débarquement : l’un au nord-est, l’autre au sud, mais les écrits attestent que le moins dangereux est celui du NE. Nous arrivons d’Acapulco par le nord-est. Pourtant peu avant l’aube, à 6h du matin, sur le pont arrière, je m’aperçois qu’ El Puma se dirige au sud de l’île ! J’en informe la Chef scientifique qui s’étonne que le capitaine, auquel elle avait indiqué le point nord, fonce vers la côte sud. Elle lui demande immédiatement correction du trajet mais, avancé comme l’est déjà le bateau, nous ne pouvons plus que faire le tour de l’île … par l’ouest. Perte de temps qui nous met finalement face au point de débarquement nord-est à 8h. Aux jumelles, on a repéré un mât avec un petit fanion semblant signaler le lieu de débarquement « idéal ». Mal nous en prit…
Ne pouvant ancrer, car les fonds tombent immédiatement à plus de 400m, El Puma s’arrête à près de 700m du récif et ne peut, que lentement dériver. Une première équipe de trois chercheurs physiquement solides et la responsable scientifique partent en reconnaissance de la côte avec le Zodiac piloté par un homme d’équipage. Le temps est relativement beau, quelques nuages, une houle assez faible de 50cm à 1m. Les vagues se brisent cependant avec fracas et force écume sur toute la côte. La première équipe se dirige vers le fanion et, jugeant l’accostage réalisable, se lance avec une vague porteuse et arrive à « beacher » sans casse et sans eau dans le Zodiac. Après contact et rapport par radio (talky-walky), les chercheurs restent à terre et le Zodiac doit revenir chercher la deuxième équipe dont je fais partie. Mais quitter la côte est bien plus difficile que d’y arriver et ce n’est que grâce à une grande adresse et expérience que Abel, le pilote du Zodiac, parvient, non sans mal et quelques aller-retours entre la barre et la plage lui valant des salves d’écume et quelques frayeurs, à franchir les premiers rouleaux les plus dangereux après avoir dérivé sur plusieurs centaines de mètres au-dessus du récif frangeant. Il arrive au navire visiblement secoué, trempé, avec un sourire un peu crispé. Je ne sais plus à ce moment là , si je n’ai pas été content de ne pas comprendre le mexicain, mais il me semble que je n’ai pas trop chercher à connaître les détails. De toutes façons c’était mon tour et je m’y apprêtais gaillardement sans beaucoup d’inquiétude. On verra bien après tout et ce n’est sûrement pas si près du but que l’on va renoncer pour quelques vagues.
Mais pour le deuxième débarquement, l’homme d’équipage change (question de tour de garde paraît-il). Nous embarquons à cinq avec le matériel, mon équipement comprenant déjà deux bon gros sacs marins étanches (quelle bon investissement avais-je fait à Nouméa peu avant le départ !) et les deux mâts de la station météo portable prêtée par Météo-France Nouvelle-Calédonie.
Nous nous lançons… il est près de 9h15. Arrivés près des premiers rouleaux, la technique consiste à observer les vagues pour se lancer sur celle jugée la plus haute pou pouvoir surfer jusqu’au rivage. Ainsi le Zodiac tourne et tourne en attendant la bonne. On y va ! …. mais, ce n’était pas la bonne et en quelques instants nous nous retrouvons submergés par la vague qui remplit à ras bord le Zodiac. Poussés, plus que portés par la vague nous finissons par atterrir en catastrophe sur le récif en raclant l’hélice sur le fond corallien; nous sautons à l’eau pour tenir et tirer le Zodiac et l’empêcher de repartir avec le reflux … mais, nous sommes saufs et n’avons pas eu le temps d’avoir peur. On débarque le matériel qui a bien résisté et on écope l’eau du Zodiac sur la plage. Le retour va cependant être encore plus périlleux.
En effet, Federico, le ‘pilote’ craint de retourner seul au navire pour chercher la troisième équipe (J’ai appris par la suite qu’il avait un jour fait naufrage et était resté plusieurs jours à la dérive; on peut comprendre ses réticences à partir seul dans cette mer difficile). Il doit pourtant bien y aller. Les échanges radio avec le capitaine sont animés et au récit et à la vue de ce 2 e débarquement, le capitaine décide qu’il n’y aura pas d’autre équipe. Il envoie la chaloupe vers la côte mais celle-ci ne pourra jamais accoster à cause de son étrave en V et de l’hélice qui est trop basse pour ‘beacher’. A bord cependant, il y a Adrien, jeune instructeur de plongée. Pendant ce temps, Federico doit passer cette fichue barre et va essayer. Le grand Angel, Vivianne et un autre le pousse jusqu’à la première barrière, à la limite de perdre pied… Une fois : il est renvoyé par la vague sur la plage. Deux fois : une grosse vague le fait tomber du Zodiac qu’il réussit à agripper et il se retrouve effrayé sur le rivage. Il refuse d’y aller une autre fois et part marcher dans son coin pendant que les échanges radio se poursuivent. Il doit y retourner, ordre du capitaine, mais avec quelqu’un à l’avant du Zodiac pour faire contrepoids (ce que je suggérais depuis un moment d’ailleurs). Nouvel essai à deux, Angel dans l’eau poussant le Zodiac pour l’aider à franchir la barre : mais cette fois l’océan met aussi le paquet et rejette les deux hommes qui lâchent le Zodiac; celui-ci est pris par une vague de près de trois mètres qui le chahute en tous sens avant de le dresser en l’air et de le retourner comme une crêpe. Tandis que les deux hommes réapparaissent hors de la vague grâce à leur gilet de sauvetage, le Zodiac est lui, drossé violemment sur le rivage. Dans la bagarre il aura perdu les trois-quart de son plancher et une tige du starter du moteur est cassée (par manipulation trop brutale de Federico qui tapait sur le moteur qui avait des ratés, dira-t’il; en fait, il ne mettait pas le moteur à l’eau suffisamment tôt et vite); le moteur ne peut donc plus démarrer, le Zodiac ne peut plus repartir… Nous voilà pour un petit temps, naufragés !
Pendant ce temps, je filme, on photographie, on ne s’inquiète pas, on se dit qu’on va passer la journée et la nuit et qu’on trouvera bien une solution. vivianne reçoit solennellement d’Alex huit boissons et quatre sandwiches lui disant que si ça tourne mal, ce sera au chef d’expédition de protéger puis de répartir les vivres. Elle s’assit alors pour réfléchir à cette nouvelle charge de protection des précieuses réserves à gérer avec l’organisation du travail de toute la journée quand, rapidement, un crabe vient sournoisement par derrière lui rappeler le nécessaire mouvement perpétuel qu’il faut avoir sur cette île… Nous avons toute l’île à découvrir. Nous oubliions à ce moment un détail d’importance : Nous n’avions, pour dormir au sol, aucun équipement capable de résister aux crabes… Je n’avais finalement pas emporté mon hamac qui aurait été la seule protection efficace…
Peu après, la chaloupe arrive et se positionne à plus de 100m du rivage sans pouvoir s’approcher plus près, le récif s’étirant à cet endroit sur au moins 60m. Pendant que Angel et Federico regagnent la terre comme ils peuvent, Adrien, depuis la chaloupe, dans une véritable opération de sauvetage, se jette à la mer avec un filin en main et nage vers nous. Adrien disparaît aussi souvent dans les vagues. Nous attendons avec inquiétude qu’il réapparaisse. Heureusement, excellent nageur, il gagne petit à petit sur la mer et arrive à nous rejoindre. Le filin est là , avec lui, seul lien désormais avec la chaloupe, le navire et … le monde ?
On ne perd pas beaucoup de temps à chercher le plancher du Zodiac qui a disparu; on attache celui-ci au filin; Federico monte à bord; la chaloupe tend le filin et tire lentement le Zodiac qui va passer la barre plus souvent près de la verticale que de l’horizontale. Le Zodiac part se faire réparer et reviendra plus tard. Rendez-vous est donné à 16h pour nous permettre une première inspection de l’atoll. Nous sommes désormais neuf sur la plage et l’on s’apprête à partir en exploration de l’île. »