Inside the White Cube, Briant O Doherty
Chapître 3 – « Le contexte comme contenu »
« En exhibant l’effet du contexte de l’art sur l’art, l’effet du contenant sur le contenu, Duchamp mit au jour une aire artistique jusqu’alors inexplorée. Cette invention du contexte est à l’origine d’une succession de gestes qui vont « exploiter » l’idée de la galerie comme entité homogène offerte aux manipulations, à la mise esthétique. De ce moment date la perdition d’énergie qui affecte l’art au profit de son environnement. Avec le temps, la mythification de la galerie a crû en proportion inverse à la littéralisation de l’art.
Comme tout geste heureux, les 1200 sacs de charbon de Duchamp ont acquis après coup statut d’évidence. Les gestes sont l’une des catégories de l’invention. On ne peut les accomplir qu’une seule fois, à moins que tout le monde s’accorde pour les oublier. Le meilleur moyen d’oublier quelque chose est de l’assumer ; ce que nous assumons disparaît de notre horizon. Pour ce type d’invention qu’est le geste, c’est le brevet, beaucoup plus que le contenu formel (s’il y en a un) qui importe vraiment. Je pose que le contenu formel d’un geste est son à -propos, son économie, sa grâce. D’une pichenette, il expédie le taureau – l’histoire. Mais il a besoin de ce taureau, parce qu’il opère brutalement un complet changement de perspective sur tout un ensemble de partis pris et d’idées. C’est en cela qu’il est didactique, comme l’a dit Barbara Rose, quoique le mot exagère un peu la volonté d’enseigner. S’il enseigne en effet, c’est par l’ironie et l’épigramme, l’astuce et la provocation. Un geste vous ouvre les yeux. Son effet dépend du contexte d’idées qu’il transforme et met en relation. Il n’est peut-être pas art mais presque-art et il vit d’une presque-vie qui tourne autour et à propose de l’art. S’il rate, il demeurera une curiosité dans une bouteille de formol, si même on s’en souvient. S’il réussit, il entrera dans l’histoire et s’y dissoudra. Il ressuscitera l’orque le contexte, imitant celui dans lequel il est apparu, lui donnera une nouvelle « pertinence ». Etrange histoire que celle du geste, qui toujours s’évanouit et reprend vie.
Le geste de la transposition du sol au plafond peut être réédité désormais comme « projet ». Un geste peut être un « jeune » projet ; mais, plus démonstratif et épigrammatique, il spécule à risque sur l’avenir. Il attire l’attention sur des partis pris invérifiés, des contenus négligés, des failles de la logique historique. Les projets (de l’art à cours terme, destiné à des lieux et à des occasions spécifiques) posent le problème de la survie de l’éphémère – s’il survit. Archives et photographies défient l’imaginaire historique en lui présentant un art qui est déjà mort. Le processus historique est à la fois enrayé et facilité par le retrait de l’original, dont le caractère fictif augmente à mesure que sa vie posthume se fait de plus en plus concrète. Ce qu’on préserve et ce à quoi on permet de disparaître, voila ce qui produit l’idée de l’histoire. Cette forme de mémoire commune propre à chaque époque. Les projets non documentés peuvent survivre à titre de rumeur, et s’incorporer à la figure de celui qui est à leur origine, à charge pour lui d’élaborer un mythe convaincant. »
P99.