A.F.K., test pour un manifeste

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Tests rapides de lettres/mots écrits avec des cheveux, qui serviront pour le manifeste que je suis en train d’écrire pour le projet A.F.K.
Les supports définitifs seront blancs. Je suis en train de faire différents essais (papier type bristol, carton plume autocollant, chromolux, verre, …) pour voir ce qui conviendra le mieux. La difficulté principale étant que tous ces supports s’usent et se tâchent très vite quand on travaille avec de la colle.
Et puis quelques schémas pour l’organisation potentiel de l’exposition à venir.
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Et hypermoderne, un texte de Julien Prévieux, que j’affectionne particulièrement, et copié depuis son site.

Hypermoderne
Julien Prévieux
The Chessroom, Editions Montgolfier, 2013
Le débutant
Le mat du débutant est le mat le plus rapide du jeu d’échec. Il suffit d’un peu moins de trois coups pour l’accomplir : cinq demi-coups et la partie est terminée. On peut le réaliser du côté des blancs, comme du côté des noirs. La partie débute avec les blancs qui jouent un pion en e4 pour prendre possession du centre de l’échiquier. Les noirs répliquent avec le déplacement d’un pion de la position f7 à la case f5. Ils libèrent la diagonale du roi qui n’est plus protégé. On l’aura compris, dans cette partie, ce sont les noirs qui jouent le rôle du débutant. Ensuite, c’est très simple et tout va très vite, les blancs jouent un second pion en d4. Il s’agit d’un exemple, ce coup n’a pas vraiment d’importance. On aurait tout aussi bien pu jouer le cavalier en c3 ou placer notre fou en e3. Il faut simplement faire attention à ne pas interrompre la diagonale croisant celle libérée par le premier pion noir. C’est au tour des noirs de jouer, ils déplacent un pion en g5 laissant leur roi totalement à découvert. Il ne reste plus alors qu’à placer notre dame blanche en h5 pour attaquer le roi noir. Sa seule possibilité de fuite est f7, mais le coup est impossible puisqu’il serait à nouveau mis en échec par la reine. Le cavalier et le fou noirs ne peuvent pas s’interposer. Echec et mat.

La partie du siècle
New York, octobre 1956 : le tournoi d’échec du Rosenwald Memorial rassemble quelques-uns des meilleurs joueurs des Etats-Unis. Un jeune adolescent du nom de Robert James Fischer est invité à concourir. Cette même année, Robert a remporté le championnat junior des Etats-Unis mais il est loin d’attirer l’attention dans ce tournoi : ses premiers résultats sont médiocres, il n’a encore gagné aucune partie et, avec son t-shirt rayé et sa coupe en brosse, il a vraiment l’air d’un enfant.
A la 8ème ronde, Robert est opposé à Donald Byrne, l’un des meilleurs joueurs américains de l’époque. Byrne est un maître international de vingt-cinq  ans portant costume sombre, lunettes et cheveux noirs. Il fume beaucoup. Son style de jeu très agressif lui a notamment valu une belle victoire dans l’US Open. Robert a étudié les parties de Byrne dans les magazines et il choisit d’entamer le jeu en déployant une ouverture inhabituelle, la « défense Grünfeld ». Robert en maîtrise les grandes lignes mais il est loin d’en connaître toutes les subtilités, et il est rapidement contraint d’improviser. Il se ronge les ongles, se frotte le front, il hésite beaucoup. Byrne est confiant, il vient tout juste de l’emporter face à Samuel Reshevsky, le grand maître le plus renommé de cette compétition. Au dixième coup, le jeu de Byrne est bien développé et il contrôle parfaitement le centre de l’échiquier. Au onzième, Robert tente le sacrifice de son cavalier pour reprendre l’avantage. Les commentateurs ne comprennent pas ce mouvement inattendu mais Byrne voit clair dans la stratégie de son adversaire. Cette pièce offerte est un piège qui le conduirait à perdre du terrain si ce n’est la partie. Au coup suivant, Robert tente à nouveau cette stratégie mais Byrne décline à nouveau. La partie est tendue, la rumeur de l’audace des derniers coups de Fischer fait le tour de la salle. Les deux joueurs sont maintenant au centre de l’attention et le dix-septième coup va rendre la partie légendaire. Robert envisage la possibilité singulière de l’emporter en sacrifiant sa reine déjà en danger. Ce choix va à l’encontre de toutes les stratégies habituelles. La reine est une pièce à sauvegarder le plus longtemps possible car jouer sans elle est souvent synonyme de défaite. Au lieu de la protéger coûte que coûte, Robert prend le risque de la perdre en contre-attaquant avec un fou, pour mieux redistribuer les positions. Byrne la prend. Les autres pièces de Robert vont agir de concert dans les mouvements qui suivent : le cavalier vient protéger la tour qui va sécuriser le fou tout en forçant la dame de Byrne à prendre un pion par gourmandise. Sa dame est désormais très mal placée, loin de son roi, à l’opposé de l’échiquier. Robert, quant à lui, vient de prendre une tour, deux fous et un pion. Il a pris le dessus. Les spectateurs commencent à saisir ce qui se déroule sous leurs yeux : aussi fou que cela puisse paraître, Donald Byrne est en train de perdre face à un inconnu de treize ans. Robert met à nu le roi blanc et provoque une série d’échecs qui aboutissent à un échec et mat sans appel. Il est minuit, l’arbitre et les spectateurs sont médusés. C’est le début de l’histoire du mythique et très controversé champion, Bobby Fischer.

Bleu profond
Les informaticiens se sont intéressés à la programmation d’ordinateurs jouant aux échecs dès le début des années 50. Au milieu des années 80, Feng-Hsiung Hsu, étudiant de troisième cycle à l’Université Carnegie Mellon, débute une thèse sur le sujet. Avec un certain Murray Campbell, il conçoit une machine à jouer intitulée Chip Test. En 1989, les deux jeunes diplômés sont embauchés par IBM pour poursuivre leurs expériences avec l’aide d’une équipe de programmeurs. Le projet porte le nom de code Deep Thought puis Deep Blue. Une première rencontre entre leur machine et le champion du monde Garry Kasparov est organisée en 1996. Kasparov remporte facilement le match en six parties avec un résultat sans appel : 4-2. Kasparov accepte une revanche l’année suivante mais le nouveau challenge sera une toute autre histoire.
Au début de la première partie contre un nouveau Deep Blue plus rapide et perfectionné, Kasparov développe immédiatement une stratégie consistant à empêcher la machine de faire appel à sa fabuleuse mémoire pour l’emmener hors des sentiers battus, loin de l’approche statistique dans laquelle elle excelle. Les ordinateurs ont été pendant longtemps médiocres lors de l’ouverture, la première phase de jeu. Les capacités de calcul les plus phénoménales ne servent pas à grand-chose quand la situation est vierge et totalement ouverte. Les joueurs humains font appel à leur expérience et commencent par un coup généralement admis comme l’un des meilleurs possibles. Logiquement, les programmeurs d’IBM ont doté Deep Blue d’une base de données contenant des centaines de milliers de partie d’échecs pour combler ces lacunes à l’ouverture. Ils ont étudié le nombre de fois que ces séquences ont été jouées, quel était le classement du joueur, combien de fois ces déplacements avaient abouti à des victoires, des défaites, des matchs nuls… En 1997, et selon les dires d’IBM : « Kasparov ne joue plus seulement contre un super-ordinateur mais contre les fantômes des grands maîtres du passé ».
Kasparov ouvre la partie avec son cavalier mais de manière inattendue, il ne le déplace pas quand Deep Blue vient le menacer. En trois coups, Kasparov vient de rendre l’énorme base de données inutile, et Deep Blue doit penser par lui-même. La partie évolue sans grande surprise, l’ordinateur ne commet pas d’erreur flagrante mais ses coups sont mécaniques, attendus et sans aucune vision stratégique. L’avantage des ordinateurs est leur vitesse de calcul : en milieu de partie, lorsque les pièces sont déployées sur l’échiquier, analyser l’ensemble des possibilités des trois coups suivants revient à traiter des milliards de possibilités. Un travail d’une vingtaine de secondes pour Deep Blue et de plus de quarante ans pour Kasparov… Mais si les programmes de jeu d’échec nous surpassent dans l’approche tactique, en prévoyant très bien les quelques coups à venir, ils ont d’énormes difficultés à envisager la dimension stratégique du jeu. Ils ne disposent pas d’une vision d’ensemble de la partie et ont du mal à saisir les conséquences profondes de certains coups contre-intuitifs comme le sacrifice d’une pièce. Dans la première partie, lorsque Kasparov offre une tour à Deep Blue en l’échange d’un fou, Deep Blue s’engouffre dans la brèche et la prend machinalement. L’ordinateur vient tout simplement de comparer les valeurs des pièces en présence sans prendre en compte la position des simples pions de Kasparov qui menacent son roi mal protégé. Treize coups plus tard, Deep Blue perd cette partie en demi-teinte, mais le final réserve une étonnante surprise qui va définitivement perturber Kasparov pour la suite du match et bouleverser l’histoire.
Lorsqu’arrive la fin de partie, Deep Blue fait un choix très étrange. Pour le 44ème coup, il positionne sa tour dans la première ligne des blancs plutôt que dans une position conventionnelle qui aurait mis Kasparov en position d’échec. Les commentateurs s’interrogent, que s’est-il passé dans le programme ? Le mouvement de Deep Blue est un non-sens complet au moment où il est assailli de toute part, Deep Blue choisit littéralement de passer son tour et permet à Kasparov d’avancer un pion dans la deuxième ligne adverse, le rapprochant encore un peu plus de la possibilité de récupérer sa reine. Encore plus incompréhensible, Deep Blue se retire brusquement du jeu le tour suivant en s’avouant vaincu. Comment un ordinateur peut-il commettre un tel abandon ? La partie se déroulait mal pour la machine mais la possibilité d’un match nul n’était pas écartée. Le soir-même, dans sa chambre du Plaza Hotel, Kasparov et son expert en informatique décortiquent la partie. A l’aide d’un programme de jeu d’échec, ils vont rejouer tous les coups et poursuivre le jeu au-delà du renoncement inexpliqué de l’ordinateur. Ils découvrent que l’hypothèse du déplacement de la tour pour mettre en échec Kasparov était un choix sans suite, l’ordinateur aurait été échec et mat de toute façon. Seulement cette défaite ne se serait concrétisée que vingt coups plus tard, et c’est là que réside tout le problème. Cet ordinateur, dont les capacités de prédiction sont annoncées comme limitées à six ou huit coups, peut donc « voir » beaucoup plus loin. Cette explication rationnelle n’est guère réjouissante pour Kasparov et la suite du match : Deep Blue serait tellement puissant qu’il pourrait prévoir au moins vingt coups d’avance. Calculer aussi loin dans un jeu complexe comme les échecs relève d’une prouesse qu’aucune stratégie humaine ne peut parer. Kasparov en conclut que ce coup est le signe d’une immense clairvoyance plutôt que d’une maladresse. Il ne gagnera plus aucune des parties suivantes et finira par perdre le match. La défaite retransmise dans le monde entier est hautement symbolique : pour la première fois, le plus haut représentant humain de la discipline s’avoue vaincu face à un ordinateur.
En 2012, l’ingénieur Murray Campbell, revient sur cette partie dans un entretien avec Nate Silver (The signal and the Noise, Nate Silver, The Penguin Press) : « Il y avait quelques problèmes dans le programme de Deep Blue mais il était, pour nous, de plus en plus difficile de les détecter. Dans les premiers stades de la mise au point du programme, on se rendait facilement compte quand il faisait un choix inhabituel. Puis Deep Blue est devenu bien meilleurs que nous et quand il déplaçait une pièce par erreur, nous ne pouvions pas réellement nous en rendre compte.» Et de continuer sur la partie proprement dite : «  Au 44ème coup, un bug s’est produit dans le programme, un bug que nous connaissions et que nous pensions avoir résolu. Incapable de sélectionner le coup suivant par ses algorithmes habituels, Deep Blue a fait appel à une procédure de secours dans laquelle il a choisi un coup complètement au hasard. C’était ça le mouvement inattendu de la tour. Le bug a été sans conséquence pour l’ensemble du match, la première partie était déjà mal engagée et nous l’avons réparé dès le lendemain mais il a largement transformé la perception que Kasparov avait des capacités de notre machine… »
On parle souvent de l’anxiété du champion du monde dans la suite du match et de son abandon un peu trop hâtif lors de la deuxième partie. Il raconte lui-même avoir été très impressionné par la profondeur du jeu développé par Deep Blue lors de son renoncement. Pour Deep Blue, ce bug n’était donc pas une simple erreur de parcours, il est même fort probable qu’il lui ait permis de battre l’homme en exploitant, sans le savoir et par accident, une faille psychologique.

Fort comme un turc mécanique
Vous savez, pour vous mettre au travail sans que vous le sachiez, il y avait des solutions très simples. ReCAPTCHA par exemple : on aidait Google à digitaliser le contenu de livres scannés en retapant une suite de caractères affichés à l’écran. C’était un jeu d’enfant. On l’avait tous fait ou presque, on était plus de 750 millions d’utilisateurs à avoir retranscrit au moins un mot avec ce système. Quand on ouvrait le compte d’une boîte mail, ou qu’on postait un commentaire sur un site, on devait confirmer au programme qu’on était bien un être humain et pas un robot, c’était ça les Captcha. Certains disaient que c’était comme participer au grand tout de l’intelligence collective, la ruche, les abeilles et la somme des parties… La sagesse globale, quoi. Quand on entendait ce genre d’histoires, d’habitude certains se méfiaient mais là, rien. On avait déjà intégré tout ça sans avoir besoin des discours, sans même le besoin d’y croire vu qu’on croyait faire autre chose. Bon, pour ceux qui voulaient quand même être payés, il y avait ce service d’Amazon appelé Mechanical Turk, le turc mécanique, en référence à un automate du XVIIIe siècle censé savoir jouer aux échecs mais en fait actionné par un humain dissimulé à l’intérieur. Grâce à ce service, on pouvait accomplir depuis chez soi une tâche contre un peu d’argent. On pouvait avoir à retranscrire quelques minutes d’enregistrement audio, à traduire quelques paragraphes d’un texte, à aimer des livres ou des sites web, ou encore à analyser des images. Ces tâches n’étaient rémunérées que quelques centimes et il n’était pas rare que ça nous prenne une heure pour les réaliser. Ce genre de marchés était devenu la norme, on utilisait Mechanical Turk pour nous faire travailler à bas prix et des dizaines d’activités pénibles avaient été transformées en jeu pour qu’on travaille sans le savoir. Tout le monde allait dans le même sens de toute façon, en écrivant des articles pour rien qui profitaient à d’autres, ou en distribuant gracieusement des améliorations pour des produits qu’on avait achetés. Là c’est certain, il se tramait quelque chose de très bizarre.