Énoncé performatif : je t’aime

À Montreuil, aujourd’hui, je suis passée devant certains des affichages Decaux qui vont servir pour la proposition Rheum Nobile, que je finalise en ce moment.
10 affiches dans ces sucettes Decaux baliseront le parcours entre la maison pop et un autre lieu (Fonderie de l’image ou Instants chavirés). Ces affiches, je ne les vois que comme des supports pour des actes de langage, et chacune découlera, sera la matérialisation d’un énoncé performatif qui ponctuera le chemin entre les deux lieux d’exposition.

Un acte de langage est un moyen mis en œuvre par un locuteur pour agir sur son environnement par ses mots. Développée et théorisée par John L. Austin dans « How to do Things with Words », l’idée d’acte de langage insiste sur le fait qu’outre le contenu sémantique d’une assertion (sa signification logique, indépendante du contexte réel), un individu peut s’adresser à un autre dans l’idée de faire quelque chose (par opposition à dire quelque chose). Pour être plus précis, faire un acte de langage, c’est transformer, par les mots, la représentation des choses ou intentions/buts d’autrui, bref la réalité : on parle alors d’un énoncé performatif, par contraste avec un énoncé uniquement constatif.
Un énoncé performatif, c’est un énoncé qui dit ce qu’il fait, par exemple quand je dis : « je te demande pardon », je fais ce que je dis…
Et ce qui différencie ces deux énoncés, c’est aussi la direction d’ajustement : dans le constatif, on s’ajuste au réel, par la parole (ex : il pleut). Dans le performatif, en agissant par la parole, on modifie le réel : (c’est le réel qui s’ajuste à l’énoncé, ex : Je ne serai pas à l’heure).
C’est assez beau cette idée d’énoncé performatif… Ça pourrait même être pris au pied de la lettre, donner lieu à une performance justement.

L’installation que j’ai conçue pour la Fonderie de l’image (texte sérigraphié à l’encre phosphorescente sur du papier-peint) est en écho avec ces affiches.
D’une phrase tirée de « La part maudite » de Bataille, j’opère une mutation, un parasitage : je l’augmente en lui ajoutant des énoncés performatifs (exemple : « cette histoire a déjà commencée », « le texte serait ajourné, remis à plus tard, congédié, mais réapparaitrait irrémédiablement étendu, augmenté, commenté, toujours plus long et sa lecture toujours plus difficile »… ).
En rajoutant cette couche, je me l’approprie, je fais une conversion. Ma propre dépense d’énergie, par le biais d’énoncés performatifs, se transforme, et transforme le sens premier du texte original, qui apparait en majuscule, alors que le reste du texte est en minuscule.

Il y a quelques jours en lisant un passage de « Je suis vivant et vous êtes mort », j’ai confondu les mots « conversation » et « conversion ». Pas vraiment un hasard vu les recherches que je mène en ce moment…

> Introduction à la philosophie du langage
> La théorie du langage performatif de JL Austin
> Victor Burgin
> Christophe Fiat (Du performatif à la performance)

« Je-t-aime est sans nuances. Il supprime les explications, les aménagements, les degrés, les scrupules. D’une certaine manière − paradoxe exorbitant du langage −, dire je t-aime, c’est faire comme s’il n’y avait aucun théâtre de la parole, et ce mot est toujours vrai (il n’a d’autre référent que sa profération : c’est un performatif) ».
R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, p. 176